“Depuis quelque temps, les réfugiés étaient rares. Dans l’après-midi de samedi et la matinée de dimanche 29 mai, nous avons vu arriver quarante et un réfugiés nouveaux à Seix : hommes, femmes ou enfants, venus des derniers villages de la vallée indiquée, de la Noguera-Paillarésa. La plupart sont d’Alos, dont le clocher à vol d’oiseau est à quelque dix kilomètres de notre village de Salau. Questionnés sur cet exode tardif, étant donné que les nationalistes occupent cette vallée depuis Pâques, tous sont unanimes à déclarer que leur existence était devenue impossible, tant au point de vue du ravitaillement que sous le rapport de l’insécurité. L’un d’eux, J. Diu, 60 ans, nous dit qu’il habité Toulouse pendant vingt-deux ans. Il nous explique en bon français combien le peuple espagnol souffre en ce moment, physiquement encore plus que moralement. Nous lui passons donc la plume : « Je suis un bon propriétaire d’Alos, où je vivais dans l’aisance.

Tous ceux qui étions visés, nous avons du vivre dans les transes à la merci d’une patrouille. Nous savions le sort qui nous attendait, étant donné que tant de braves types d’Esterri ou d’ailleurs qui n’avaient rien fait de mal on été journellement martyrisés et fusillés.
D’autres, ont été évacués vers des destinations inconnues et qui n’ont jamais plus donné signe de vie. Depuis que les républicains font preuve d’activité sur les montagnes de Campirme en amont de Tremp des renforts nationalistes arrivent journellement à Esterri et jusqu’à Isil.
Jeudi dernier [26/05/1938], vers 9 heures, dix-sept gardes civils sont arrivés à Alos et on saisi le bétail et les vivres. Ils ont cherché à arrêter les principaux du village qui avaient déjà fui à leur approche.
Notre village, qui n’avait eu jusqu’à ce jour que la visite de quelques patrouilles, a été donc occupé. Il a suivi le sort des autres de la basse vallée où la population a été dépossédée des vivres et du bétail et décimée par des exécutions sommaires. Ainsi donc, pour échapper à la famine à des actes plus que barbares et, quelques-uns d’entre une cruelle agonie, nous avons abandonné maisons et biens pour arriver en France où nous commençons à revivre en dépit de notre triste destin».” (La Dépêche, 31/05/1938)
Une soixantaine de personnes provenant d'Alos, de chez Jaumetó, Cabalet, Peian, Peiró, Pixeu,

Ce jour-là, le 26 mai 1938, la Garde Civile se présenta à Alos de bon matin, se renseignant sur une partie des habitants.
"Son père [Antoni Palacin Badia] dit qu'il se trouvait sur la place et la police est arrivée et lui a demandé s'il connaissait Antonio Palacin, celui de chez Sanet, et alors il a dit : "tiens, eh bien, il vient de passer maintenant par là-bas, il suivait..." je dis moi, il a eu du cran, drôlement, hein ? un autre aurait dit "oui, c'est moi". Oh là, là ! on l'attrape et on le tue comme... [...] et lui, il est parti de l'autre côté, qu'est-ce que tu en dis ?" (Juliana Boada, août 2007)
Les gardes allèrent aussi à la taverne de chez Jaumetó, interrogeant au sujet du responsable,

Chez Jaumetó : "Quand il est arrivé, on est allé dans la grange, parce qu'il y avait une autre porte fausse [...], on savait que c'était l'heure où il arrivait, et on lui a dit, et il a dit « alors partons, partons en vitesse »" (Mercè Comenge Fortet, janvier 2008)
Chez Sanet : "On est parti d'ici [du village d'Alos] je pense qu'il devait être deux ou trois heures du matin et un souvenir que j'ai c'est la grand-mère, en bas on avait des poules et pour pas perdre de temps en les saignant, elle leur coupe le cou et les têtes sautaient d'un côté et les corps de l'autre, une scène de... disons horrible." (Antoni Palacín Cortina, août 2007).
Ceux qui restent et ceux qui partent : "J'étais là-bas [à la maison] et tous m'appelaient de la rue, bon je le savais déjà depuis la veille [...] qu'ils voulaient partir, oui, tous passaient par la rue là, derrière, et tous m'appelaient et moi, de ces pleurs parce qu'ils partaient et je suis allé les accompagner un bout de chemin [...], là on a fini de se dire adieu et, je vous dis, moi avec de ces pleurs, moi par ici et les autres vers là-bas" (Antònia Caujola Juanati, mai 2008)
La neige au port: “la petite vous la voyez mon frère se l’avait mise… elle avait un mois... on montait ala montagne et il y avait de la neige dans la montagne et alors il se l’avait mise dans la chemise [silence], eh oui…” (Palmira Llorens Teig, mai 2008)
Le 27 mai, ils franchirent le port de Salau. Ils commencèrent la descente et, cette nuit-là, quelques-uns dormirent à la grange de Pouilh, à mi-chemin entre le haut du port et le village de Salau. Le 28, ils arrivèrent à Salau et, sans doute trouvèrent-ils les gendarmes pour la première fois. Les femmes et les enfants de chez Jaumetó, Antònia Vidal, ses enfants Maria et Joan Cortina et Mercè Comenge poursuivirent immédiatement leur voyage vers Seix. La raison en fut l'état de grossesse et de santé d'Antònia Vidal qui réclamait une assistance médicale à Seix et quatre jours de repos à l'hôpital de Saint-Girons. Le reste des réfugiés ne fut pas fiché ce jour-là, sûrement arrivèrent-ils à un accord avec les gendarmes, beaucoup parmi eux se connaissaient par les transactions frontalières. Les familles restèrent logées dans des maisons de Salau. Lorsqu'elles décidèrent de poursuivre leur voyage vers l'intérieur de la France, les familles se séparèrent. Les hommes jeunes demeurèrent cachés dans les montagnes, tandis que les femmes, les enfants et les personnes âgées furent transportés de Salau à Seix en autocar. A Seix, on releva les données les concernant et on leur fit passer une visite médicale au cours de laquelle ils furent vaccinés contre la variole. Le jour suivant, ils prenaient le train à Saint-Girons pour être conduits jusquà la ville de Clermont-Ferrand où ils furent accueillis au Centre d'hébergement des réfugiés espagnols, installé depuis 1937 dans l'ancienne caserne Gribeauval.
Les hommes jeunes restèrent cachés dans les montagnes tout l'été, observant la situation. En même temps, ils récupérèrent du bétail et l'emmenèrent clandestinement en France. Ils évitaient ainsi d'être expulsés de France. Finalement, presque tous entrèrent en France clandestinement afin de rejoindre leurs familles.
Le village de Salau: “ Non il n’y avait rien, c’était vraiment lo désert, deux ou trois maisons que mes frères connaissaient parce qu’ils faisaient un peu de contrebande, l’ainé ” (Palmira Llorens Teig, mai 2008)
Hébergés à Salau: “On est descendus a Salau, et a Salau là on ne savait pas si on partait ou si on restait et alors mon frère, les ainés [Nando Llorens] ils étaient cachés avec Sanet, ils étaient cachés a la montagne et il disait ne partez pas encore ne vous faites pas voir parce que peut être que là-bas la police et tout ça repartira, Franco, repartira et on pourra revenir a la maison, et ils y sont restés quand même” (Palmira Llorens Teig, mai 2008)
Eté dans la montagne : "Mon père a vécu tout l'été ici pour voir s'il pouvait sauver quelque animal, parce qu'ils en avaient beaucoup, environ trois cents brebis, des chèvres, des vaches et des juments, des poules, et lui, faisant des tours et des tours et il pensait toujours si tout allait se calmer et alors après il y a eu... il est parti lui aussi en France et là, il vivait clandestinement parce que la police l'aurait attrapé." (Antoni Palacín Cortina, août 2007)
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